Pour la première fois en 40 ans, des scientifiques étudient les effets de la Psilocybine, ingrédient actif des "champignons magiques". Cette fois, les conditions d’expérience sont rigoureuses, et portent sur la qualité mystique d’un "voyage" induit par la digestion de cette substance.
Les champignons hallucinogènes sont utilisés depuis des siècles, voire des millénaires, dans certaines cultures (du Mexique et d’Asie centrale notamment) de manière contrôlée dans le cadre de rites religieux. Quelques expériences dans les années 1950 et 1960 ont permis de se rendre compte de la puissance des effets hallucinogènes, et des usages thérapeutiques éventuels, mais elles ont vite été arrêtées, à la suite de l’interdiction de la consommation de substances psychotropes. De plus, les conditions expérimentales étaient loin d’être rigoureuses, ce qui ne leur accordait que peu de crédibilité.
L’expérience qui nous intéresse fut menée par Roland R. Griffiths, de la Johns Hopkins University School of Medicine (Etats-Unis). Les résultats furent rendus publics le 11 juillet dernier, dans la revue de référence en la matière, Psychopharmacology.
But de l’expérience :
Le but est d’étudier les effet immédiats, et à moyen terme, de l’ingestion d’une forte de dose de psilocybine.
Méthodologie :
36 expérimentateurs ont été recrutés selon les critères suivants :
- ils n’ont aucune expérience des psychotropes
- ils ont une activité spirituelle/religieuse régulière (méditation, prière...).
Ils sont donc relativement « naïfs » par rapport aux effets de ce type d’expérience, et leur activité spirituelle/ religieuse leur fournit un cadre psychologique et émotionnel leur permettant de faire face à une éventuelle déformation de la « réalité ».
Deux ou trois sessions sont conduites, à des intervalles de deux mois, au cours desquelles les expérimentateurs ingèrent une gélule contenant soit de la psilocybine, soit de methylphenidate, stimulant vendu sous le nom commercial de Ritalin.
Trente volontaires suivent deux sessions, prenant alternativement de la psilocybine et de la Ritalin. Les six autres prennent deux fois de la Ritalin, avant de suivre une troisième session au cours de laquelle ils prennent de la psilocybine. Ils ne sont bien sûr pas au courant de la substance qui leur a été administrée, bien qu’ils soient prévenus des effets des hallucinogènes. Ceci afin de réduire les effets d’anticipation.
Les sessions durent huit heures, pendant lesquelles les expérimentateurs sont seuls (pas d’effet de groupe), dans un cadre agréable, en compagnie d’un ou deux assistants. Ils sont encouragés à s’allonger sur un divan, à fermer les yeux en écoutant une musique reposante et à "tourner leur regard vers l’intérieur". Les assistants notent le comportement, mesurent la tension artérielle et le pouls. Les expérimentateurs sont invités à remplir un questionnaire à la fin de l’expérience, puis deux mois plus tard.
Ces questionnaires portent sur plusieurs points :
- la puissance des effets hallucinogènes
- l’état d’esprit de l’expérimentateur (agité ou calme, bavard ou pas...)
- la qualité mystique (sentiment d’éveil, d’union avec le monde extérieur, de vérité...)
- l’impact à long terme sur le comportement et la vie quotidienne.
Résultats :
Parmi les 36 personnes, 22 pensent avoir vécu une véritable expérience mystique. Deux mois après les sessions, un tiers des expérimentateurs décrit cette expérience comme étant l’évènement le plus marquant de leur vie, deux tiers le placent parmi les cinq évènements les plus marquants (au niveau d’un mariage, de la mort d’un proche, ou encore de la naissance d’un enfant).
En revanche, un tiers des sujets a subi une forte anxiété, voire une peur extrême. Quatre personnes décrivent la session comme une lutte psychologique angoissante. On peut facilement imaginer que ce risque est accru dans un cadre moins reposant, et sans l’encadrement de personnes expérimentées.
Enfin, la plupart reconnaissent un changement positif dans leur humeur et leur comportement quotidien, plusieurs mois après l’expérience, ce qui est confirmé par leurs proches.
Il est à espérer que ces résultats soient pris au sérieux, tant les drogues hallucinogènes souffrent d’une mauvaise image. Car les avancées possibles à la suite de ces recherches sont nombreuses. Tout d’abord, l’équipe de chercheurs estime que cette substance peut être utilisée pour traiter les cas de grande douleur, de dépression et de soulagement des malades en phase terminale par exemple. Mais dans un premier temps, leurs recherches seront orientées vers le soin de la toxicomanie.
De plus, ces travaux rentrent dans le cadre d’une discipline relativement récente, la neurothéologie, qui est l’étude des expériences mystiques d’un point de vue neurologique. Il est à noter que cette nouvelle discipline, à la frontière de la science et de la théologie, suscite de nombreux espoirs. Des chercheurs ont d’ores et déjà identifié plusieurs mécanismes neuronaux impliqués lors de méditations, de prières ou des expériences mystiques en général, notamment avec la collaboration de moines bouddhistes et du Dalaï Lama. Cela va sans dire que les résultats obtenus ici pourraient donner lieu à des mises en place plus rapides et contrôlées de ces conditions spirituelles afin d’avancer plus rapidement dans ce domaine. A la condition, évidemment, qu’il soit prouvé que les processus neuronaux impliqués dans les deux cas soient fortement similaires.
Enfin, tout cela pose des questions très délicates. Les expériences mystiques décrites ici sont-elles semblables à celles vécues (ou tout du moins relatées) par les religieux et les maîtres spirituels depuis des millénaires ? Après tout, de nombreuses « mises en condition » sont reconnues comme la méditation, la maîtrise de la respiration, le jeûne, les NDE... Les résultats semblent suggérer que la psilocybine peut être un autre moyen, mais cela reste encore à prouver. D’autre part, la science peut-elle nous aider à atteindre de tels états de conscience ? Ceux-ci sont-ils réellement observables, mesurables ? Face à ces questions, qui relèvent entièrement, il est vrai, du domaine de la subjectivité, M. Griffiths répond par la prudence et le pragmatisme.
Toutefois, après certains articles parus récemment sur l’Agora, je ne souhaite pas « lancer un troll » sur ce sujet controversé... Le but de cet article n’est ni d’encourager la consommation de drogues hallucinogènes, ni de polémiquer sur l’existence des expériences mystiques. Chacun peut se faire sa propre opinion sur ces sujets. Tout simplement, je pense qu’on doit cesser de diaboliser ce type de drogues, dont l’utilisation respectueuse et sensée peut permettre des avancées significatives dans le domaine des sciences, entre autres. A commencer, donc, par le soin des toxicomanes.
Les champignons hallucinogènes sont utilisés depuis des siècles, voire des millénaires, dans certaines cultures (du Mexique et d’Asie centrale notamment) de manière contrôlée dans le cadre de rites religieux. Quelques expériences dans les années 1950 et 1960 ont permis de se rendre compte de la puissance des effets hallucinogènes, et des usages thérapeutiques éventuels, mais elles ont vite été arrêtées, à la suite de l’interdiction de la consommation de substances psychotropes. De plus, les conditions expérimentales étaient loin d’être rigoureuses, ce qui ne leur accordait que peu de crédibilité.
L’expérience qui nous intéresse fut menée par Roland R. Griffiths, de la Johns Hopkins University School of Medicine (Etats-Unis). Les résultats furent rendus publics le 11 juillet dernier, dans la revue de référence en la matière, Psychopharmacology.
But de l’expérience :
Le but est d’étudier les effet immédiats, et à moyen terme, de l’ingestion d’une forte de dose de psilocybine.
Méthodologie :
36 expérimentateurs ont été recrutés selon les critères suivants :
- ils n’ont aucune expérience des psychotropes
- ils ont une activité spirituelle/religieuse régulière (méditation, prière...).
Ils sont donc relativement « naïfs » par rapport aux effets de ce type d’expérience, et leur activité spirituelle/ religieuse leur fournit un cadre psychologique et émotionnel leur permettant de faire face à une éventuelle déformation de la « réalité ».
Deux ou trois sessions sont conduites, à des intervalles de deux mois, au cours desquelles les expérimentateurs ingèrent une gélule contenant soit de la psilocybine, soit de methylphenidate, stimulant vendu sous le nom commercial de Ritalin.
Trente volontaires suivent deux sessions, prenant alternativement de la psilocybine et de la Ritalin. Les six autres prennent deux fois de la Ritalin, avant de suivre une troisième session au cours de laquelle ils prennent de la psilocybine. Ils ne sont bien sûr pas au courant de la substance qui leur a été administrée, bien qu’ils soient prévenus des effets des hallucinogènes. Ceci afin de réduire les effets d’anticipation.
Les sessions durent huit heures, pendant lesquelles les expérimentateurs sont seuls (pas d’effet de groupe), dans un cadre agréable, en compagnie d’un ou deux assistants. Ils sont encouragés à s’allonger sur un divan, à fermer les yeux en écoutant une musique reposante et à "tourner leur regard vers l’intérieur". Les assistants notent le comportement, mesurent la tension artérielle et le pouls. Les expérimentateurs sont invités à remplir un questionnaire à la fin de l’expérience, puis deux mois plus tard.
Ces questionnaires portent sur plusieurs points :
- la puissance des effets hallucinogènes
- l’état d’esprit de l’expérimentateur (agité ou calme, bavard ou pas...)
- la qualité mystique (sentiment d’éveil, d’union avec le monde extérieur, de vérité...)
- l’impact à long terme sur le comportement et la vie quotidienne.
Résultats :
Parmi les 36 personnes, 22 pensent avoir vécu une véritable expérience mystique. Deux mois après les sessions, un tiers des expérimentateurs décrit cette expérience comme étant l’évènement le plus marquant de leur vie, deux tiers le placent parmi les cinq évènements les plus marquants (au niveau d’un mariage, de la mort d’un proche, ou encore de la naissance d’un enfant).
En revanche, un tiers des sujets a subi une forte anxiété, voire une peur extrême. Quatre personnes décrivent la session comme une lutte psychologique angoissante. On peut facilement imaginer que ce risque est accru dans un cadre moins reposant, et sans l’encadrement de personnes expérimentées.
Enfin, la plupart reconnaissent un changement positif dans leur humeur et leur comportement quotidien, plusieurs mois après l’expérience, ce qui est confirmé par leurs proches.
Il est à espérer que ces résultats soient pris au sérieux, tant les drogues hallucinogènes souffrent d’une mauvaise image. Car les avancées possibles à la suite de ces recherches sont nombreuses. Tout d’abord, l’équipe de chercheurs estime que cette substance peut être utilisée pour traiter les cas de grande douleur, de dépression et de soulagement des malades en phase terminale par exemple. Mais dans un premier temps, leurs recherches seront orientées vers le soin de la toxicomanie.
De plus, ces travaux rentrent dans le cadre d’une discipline relativement récente, la neurothéologie, qui est l’étude des expériences mystiques d’un point de vue neurologique. Il est à noter que cette nouvelle discipline, à la frontière de la science et de la théologie, suscite de nombreux espoirs. Des chercheurs ont d’ores et déjà identifié plusieurs mécanismes neuronaux impliqués lors de méditations, de prières ou des expériences mystiques en général, notamment avec la collaboration de moines bouddhistes et du Dalaï Lama. Cela va sans dire que les résultats obtenus ici pourraient donner lieu à des mises en place plus rapides et contrôlées de ces conditions spirituelles afin d’avancer plus rapidement dans ce domaine. A la condition, évidemment, qu’il soit prouvé que les processus neuronaux impliqués dans les deux cas soient fortement similaires.
Enfin, tout cela pose des questions très délicates. Les expériences mystiques décrites ici sont-elles semblables à celles vécues (ou tout du moins relatées) par les religieux et les maîtres spirituels depuis des millénaires ? Après tout, de nombreuses « mises en condition » sont reconnues comme la méditation, la maîtrise de la respiration, le jeûne, les NDE... Les résultats semblent suggérer que la psilocybine peut être un autre moyen, mais cela reste encore à prouver. D’autre part, la science peut-elle nous aider à atteindre de tels états de conscience ? Ceux-ci sont-ils réellement observables, mesurables ? Face à ces questions, qui relèvent entièrement, il est vrai, du domaine de la subjectivité, M. Griffiths répond par la prudence et le pragmatisme.
Toutefois, après certains articles parus récemment sur l’Agora, je ne souhaite pas « lancer un troll » sur ce sujet controversé... Le but de cet article n’est ni d’encourager la consommation de drogues hallucinogènes, ni de polémiquer sur l’existence des expériences mystiques. Chacun peut se faire sa propre opinion sur ces sujets. Tout simplement, je pense qu’on doit cesser de diaboliser ce type de drogues, dont l’utilisation respectueuse et sensée peut permettre des avancées significatives dans le domaine des sciences, entre autres. A commencer, donc, par le soin des toxicomanes.