Interdiction d’une rave-party et affrontements à Rennes : quel est le problème ?
Mise en ligne : 19 décembre 2005
Le Monde, 11 décembre 2005 : « Les violences de Rennes relancent la polémique sur les raves-parties ». Le Monde, 12 décembre 2005 : « A Rennes, des affrontements sèment la discorde entre le marie et la préfète ». Libération, 13 décembre 2005 : « Polémique sur l’annulation de la rave-party après les violences de ce week-end. A Rennes, la préfète a-t-elle gâché la fête ? »
Les journalistes le savent : pour écrire un « papier », il faut choisir un « angle ». Mais ce qui est ainsi mis en lumière rejette souvent dans l’ombre des questions décisives. Se focaliser sur un aspect des événements, c’est parfois - souvent ? - passer sous silence le plus important. On découvre ainsi des problèmes qui ne le sont pas vraiment au détriment des problèmes qui mériteraient qu’on s’y attarde.
Les événements de Rennes
Les radios l’ont répété en boucle pendant le week-end des 10 et 11 décembre 2005 : l’interdiction de la rave-party organisée parallèlement aux Transmusicales de Rennes a été l’occasion d’une nuit de manifestation et de répression policière dans le centre historique de Rennes.
Les affrontements ont évidemment retenu l’attention des médias. Ceux-ci n’ont pas manqué d’informer sur l’opposition entre le Maire de Rennes qui avait proposé un terrain -aménagé - pour la rave, et la Préfète d’Ille-et-Vilaine et de Bretagne qui a décidé « malgré un mois de pourparlers » [1] de l’interdire le mardi 6 décembre. Deux jours avant le début des Transmusicales « trop tard pour un certain nombre d’amateurs de musique techno, déjà en route pour Rennes », prétextant des problèmes de sécurité en invoquant la présence de 30000 personnes : « un chiffre totalement infondé » selon un des porte-parole du collectif Korn’g héol organisateur du festival, qui précise : « En 2001, on a réuni 15 000 personnes sur ces 10 hectares sans problème » [2].
Le résultat, le scénario étant écrit d’avance, ne s’est pas fait attendre. Une manifestation, destinée à être réprimée, a été programmée pour le samedi après-midi, place de la Mairie à Rennes en pleine affluence des achats de fin d’année. Les inévitables affrontements ont donc eu lieu [3] du « milieu de l’après-midi alors que plus de 500 jeunes, selon les autorités, s’étaient rassemblés devant la préfecture » [4] jusqu’à 7 heures du matin avec leur inévitable cortège de dégâts divers, d’arrestation, de condamnations...
Qu’en ont retenu Le Monde des 11 et 12 décembre, Libération du 13 décembre ?
La « polémique » qui retient l’attention
Essentiellement, un autre affrontement, celui entre la Préfète et le maire PS de Rennes, Edmond Hervé.
Le Monde du 12 décembre parle, en titre, de « discorde entre le maire et la préfète », Libération insiste : « Un beau gâchis. Qui donne lieu à une polémique entre le maire PS de Rennes (...) et la préfète de Bretagne. Le premier accusant la seconde d’être une fauteuse de troubles. » Il est vrai que chacun de ces deux protagonistes a donné une conférence de presse le dimanche. La préfète déclarait sans vergogne : « Au lieu d’avoir 500 teufeurs en colère, on en aurait eu plusieurs milliers en manque avec des difficultés énormes pour l’ordre public » [5]. Quant au Maire de Rennes « L’interdiction préfectorale de la rave-party a été une erreur et on a subi les conséquences. »
Pour Le Monde et Libération, l’essentiel est donc la « polémique », mot médiatique convenu pour aborder les désaccords entre acteurs du monde politique. Mais on peut se demander si ces mots média-automatiques, outre l’existence d’un idiolecte journalistique, ne sont pas les révélateurs d’une volonté de ne pas aborder tous les aspects d’un problème, voire un alibi commode pour ne pas le faire.
Etait-ce le seul angle d’attaque de la question ?
La question qui se trouve effacée
Le Monde s’empresse de découvrir un autre « débat » sous le titre « Les violences de Rennes relancent la polémique [encore...] sur les raves-parties ». Conclusion : « L’organisation de rave-party est un problème délicat pour les pouvoirs publics, qui cherchent à éviter les rassemblements clandestins mais peinent à convaincre les municipalités d’accueillir les fêtes autorisées, qui ont mauvaise réputation. [6] » Certes, mais c’est oublier qu’en l’occurrence le Maire de Rennes avait proposé un terrain pour les raves et que le principal problème est ailleurs.
Libération l’effleure à peine. Dans un autre article, « Quatorze prévenus et doux raveurs » signé du correspondant à Rennes, la parole est donnée aux raveurs après l’audience de comparution immédiate du lundi 12. Ceux-ci dénoncent la « politique ultrarépressive contre les rassemblements festifs à Rennes ». La politique sécuritaire de la représentante de l’Etat est aussi évoquée au détour de la déclaration d’un teufeur soulignant l’acharnement répressif de la préfète ; politique qui dure « depuis un an et demi ». ( Lire par exemple : « L’ivresse répressive de Ouest France contre l’ivresse des étudiants ».)
Le lendemain, dans un billet consacré à l’emploi du terme « ça » par le directeur de cabinet de la préfète pour désigner les manifestants, Pierre Marcelle évoque l’amalgame entre teufeur et casseur et le « zèle sécuritaire » de la préfète. Mais ce sujet ne méritait-il pas d’être traité à part entière ? Ne s’agit-il pas d’une illustration de ce que le Syndicat de la magistrature appelle la « faillite sécuritaire » [7] ? Car on peut aussi se poser des questions sur le décalage entre l’importance du dispositif policier et l’apparente impuissante de la police à venir à bout de quelques 500 manifestants, aussi alcoolisés soient-ils.
Dès le vendredi, l’état d’urgence était en marche. Les affichettes jaunes de Ouest-France titraient « Rennes sous surveillance policière ». Les accès routiers de Rennes étaient transformés en autant de checks-points arrêtant systématiquement tous les fourgons, pour traquer les nombreux teufeurs utilisant ce moyen de locomotion. Des équipements de son étaient saisis, un hélicoptère et un camion à canon à eau mobilisés... Et pourtant, les affrontements ont duré toute la nuit dans le centre-ville. La rue Victor Hugo sur l’itinéraire mairie-préfecture a connu d’importants dommages... De quoi normalement s’interroger sur « l’efficacité » des forces de police et les ressorts profonds du déploiement policier. Mais cela ne semble pas être une préoccupation pour les journalistes du Monde et de Libération obnubilés par la « polémique ».
Cela aurait pu conduire les journalistes à interroger des personnes placées aux premières loges de l’affrontement, comme les commerçants de la rue Victor Hugo. Et peut-être auraient-ils pu recueillir ces propos de l’une d’entre elles s’adressant à la préfète, parus dans le courrier des lecteurs rennais de Ouest-France du 15 décembre :
« (...) Les dégâts commis sont considérables : vitrines brisées, vols, débuts d’incendie, fuite des clients en pleine période de Noël. Nous estimons que les décisions que vous avez prises et la gestion de cette crise engagent votre responsabilité quant à ces dommages :
- aucune information ne nous a été donnée sur le passage de cette manifestation, qui aurait pu nous permettre de prendre des mesures préventives,
- l’interdiction tardive de la rave, compte tenu de l’expérience de l’année dernière, ne pouvait que mener à ces débordements,
- face à ces débordements prévus, le seul objectif des forces de police a été d’empêcher les manifestants d’atteindre la Préfecture de Région et de les confiner dans la rue Victor Hugo afin de ne pas perturber le centre piétonnier,
- l’intervention des forces de police dans la rue Victor Hugo n’a eu lieu que vers 22 h, soit 7 h après le début de la manifestation,
- aucune protection n’a été assurée durant cette nuit dans cette rue, alors qu’une dizaine de vitrines avaient été éventrées, attirant des voleurs. Aussi nous exigeons d’être dédommagés dans les plus brefs délais, par l’Etat (...). »
A lire ce témoignage, on ne devine aucune sympathie subversive avec les manifestants. En revanche, il soulève implicitement une question qui aurait mérité une enquête : l’action de la préfète ne relève-t-elle pas de l’entretien délibéré d’une stratégie de la tension dont on connaît par avance les bénéficiaires ? Peut-être serait-il du devoir journalistique de s’en inquiéter plutôt que s’en tenir à « ce qui fait débat » entre les seules autorités.
Michel Jan // Source : acrimed | action critique médias
http://www.acrimed.org/article.php3?id_article=2224