Prologue
Après avoir écouté la troisième livraison du groupe nippon à géométrie variable, on se dit que Joujouka aime décidément surprendre son monde en n’hésitant surtout pas à s’aventurer hors contrées en brassant un abondant melting-pot de courants électronica, et ce au risque de décevoir les amateurs du staff en passant d’un disque à l’autre.
A trop vouloir surprendre et s’amuser à un jeu de pistes certes agréablement versatile lorsque celui-ci ne nous laisse pas dans un état au mieux dubitatif au pire agacé, la stratégie ne s’avère que très rarement gagnante et peut entamer plus ou moins gravement le crédit qui lui est accordé.
Dans le cas présent, une nouvelle fois, l’électron libre Tsuyoshi Suzuki toujours accompagné de Mitsumoto, nous donne ici une illustration éloquente de son talent mais surtout de son étonnante capacité d’adaptation sans que les compositions signées sur ce disque ne sentent le brouillon ou ne s’engluent dans un vague exercice de style raté.
Le premier album éponyme sorti sur Matsuri Productions en 1998 constituait avec les releases estampillés Edgecore ou feu Weird Music Society ce qui se faisait de mieux en matière de breaktrance.
3 ans plus tard sort le double cd Re-sei pour inaugurer la création du label « Mad Skippers » basé à Tokyo et qui sert en partie de vitrine au Tokio Drome, passage désormais obligé pour tout globe-trotter friand de sons éclectiques, et propageant une véritable furia collective menée par nombre de leaders de la musique électro, tels Mike Maguire, Holeg & Spies, Ree-K, Andrew Till, Mitsumoto, Anthony Rother, Front 242, Chris Liebing et beaucoup d’autres encore.
Cet album live pouvait déjà donner une bonne idée de ce qu’allait être le suivant puisque sur les 8 titres du 1er disque enregistrés en décembre 2000, la moitié devait figurer sur le deuxième opus studio sorti en 2002 sur Psy-Harmonics/Feedback Recordings.
Sur New Asians, le son se fait bien plus mâture, plus riche et complexe et déjà beaucoup de ceux qui avaient apprécié le premier album sont obligés d’admettre que les nouvelles compositions n’ont plus grand-chose à voir avec Repsycle Frequency, The right stuff ou Forgotten communication qu’il était encore possible de rattacher au son Prana.
Cela dit, les morceaux dancefloor acquièrent désormais une identité toute particulière et sont parfaitement reconnaissables, en plus d’être résolument accrocheurs comme c’est le cas pour la première version de Rock is sponge, E-wire, X-rock ou encore le remix de Bo0wy « Image down » qui font déjà figure d’anthems.
New Asians est pour le reste davantage trip-hop ; « New asians », « All the angels », « The world » sur lequel a tout de même participé Tycoon Tosh que les amateurs de Kiss FM et le posse nippon Major Force doivent sans doute connaître, et enfin « you wanna tease me out » qui donne l’occasion d’entendre Tim Healey (Quirk, Electric Tease, Microtek, Triple-X…) au chant.
Quant à « Relax » et « Let the wave flow », ce sont deux titres doucement J-pop électro à la manière d’un Doki-Doki sous amphets, et qui sont parfaitement représentatifs de ce que nous propose « Are you elovetric ».
Joujouka, depuis New Asians, c’est surtout un trinôme composé de Tsuyoshi Suzuki, la tête pensante du groupe et chargé des arrangements et des percussions en live, Minoru Tsunoda que l’on croirait rescapé de FLCL ou Kashô Ohji et qui pose sa voix polymorphe sur l’essentiel des morceaux chantés, puis enfin de Hideyuki Mitsumoto qui a pris la place de Takeshi Isogai aux machines.
Ce dernier est également l’auteur d’un « NA/O » à dominante tech-trance (Psyristor, Boshke beats, Horns & hoofs…) fort surprenant sorti cette année sur Strange Days Rec.
Pour la sortie européenne de ce troisième disque, deux titres figurant sur la première édition japonaise sortie fin 2003 sont remplacés par deux inédits qui achèvent d’asseoir confortablement le groupe comme l’un des principaux leaders d’une techno-pop irrésistible, émergente sur l’archipel nippon.
Les très dansants « Dancin’ to your heart » & « Invade 01 » sont donc troqués contre une reprise de « Anarchy in the UK » (1977) et « Elektric sucker », et se retrouvent sur la première compilation de Feedback Rec (Sounds of Feedback) sur laquelle on trouve un excellent « Big & Bad » de Gabriel le Mar.
Petite anecdote concernant la cover par Ryu Tamagawa (collectif Femme) qui est déclinée en trois versions différentes, une qui est restée exclusive à la version japonaise puis deux autres pour les copies destinées à la distribution internationale
Joujouka - Are you elovetric?
--01-- Let it rip
Le titre d’ouverture sonne comme un hommage plus ou moins explicite à l’ancien et respecté label de Suzuki, « Matsuri Production ».
C’est sur un rythme cadencé à 129bpm et rappelant furieusement un vieux tube de Gentle People (Rephlex Rec) que Tsuyoshi scande d’une voix monocorde qu’il est temps de couper définitivement les ponts, que Prana a vécu et qu’il est vain d’en attendre quoi que ce soit à l’avenir, même lointain.
Voilà pour le message, et si certains pourraient y voir un côté légèrement pédant voire bassement présomptueux, qu’on les rassure puisque ce « Let it rip » reste avant tout une belle escapade dans une délicieuse fusion des genres qui se réclament de la new-wave, le côté kitsch en moins et surtout porté par un kick bien lourd ponctué d’une basse répétitive qui se fait progressivement plus ronflante lorsque l’on entame le derniers tiers du morceau.
Un titre finalement faussement minimal mais certainement hypnotique et absorbant arrivé au terme des 7’20.
--02-- AI.305
Ceux qui connaissent le label britton Wall of sound qui hébergeait entre autres Propellerheads, The Wiseguys, Mekon ou Les rythmes digitales auront tôt fait de relever une certaine ressemblance une fois « AI.305 » lancé, sur son lead guitare appuyé et son kick résolument électro façon Tiefschwarz, sur lesquels Minoru apporte un contraste saisissant par sa voix effacée.
Les effets de guitare wah-wah se conjuguent aux hallucinations psychédéliques débridées de Tsuyoshi, couplées à des relents indus qui rendent ce « AI.305 » particulièrement incisif.
--03-- Punx play video game
« Punx play video game » fait partie de ces morceaux qui sentent l’école de l’électro-tech allemande à la différence près qu’il n’est pas question ici d’une composition académique, mais d’une singulière démonstration de ce qu’est une machine à danser.
Le kick, en plus d’être bluffant techniquement parlant, est carrément sexy. Me tromperais-je en assurant que ce Punx play, c’est avant tout ce beat de super-welters, à la fois rapide et sacrément puissant, le genre de coups qui vous fait mettre un genou à terre pour mieux vous achever avec ce grondement de basse qui vous soulève les tripes que Minoru ne lachera pas en vous les serrant de sa voix lascive.
Ce titre fait mal, punto
--04-- Are you elovetric?
Ce morceau qui donne son nom à l’album traduit finalement assez bien l’état d’esprit dans lequel les trois compères se sont trouvés au moment d’écrire cet album.
« Are you elovetric » transpire la légèreté et une certaine quiétude propre à la nostalgie, un peu comme sur ces longues journées passées en voiture sur les routes en direction du Sud, rythmées aux sons de New Order, OMD, Tears for fears, Propaganda, Bangles, Bananarama, Frankie goes to Hollywood et les autres piliers de la new-wave plus électronique.
Produit par Youth, et chanté par Maxine Harvey sur les paroles échancrée de Brian Burton Lewis, ce titre est construit sur un schème propre à la musique pop, sculpté à partir d’un matériau électro d’une puissance énivrante, en partie grâce à ce son si clair, si brut caractéristique de Joujouka.
A noter également l'excellent remix par le vétéran de la tech allemande Thomas P.Heckmann qui propose une relecture carrément inflammable, à la couleur définitvement trancey, un peu à la manière d'un Graham woods (ex TIP et maintenant Blowfish) au top de sa forme.
Sorti uniquement en vynile (12' de Punx play video game) ce titre figurera sur le prochain album de remixes "Re-model" qui devrait sortir début février.
--05-- Anarchy in the UK
Anarchy in the UK ou la compo électro-punk-rock par essence même. Comme vous vous en doutez certainement, il s'agit ici d'une reprise d'une des plus célèbres chanson des Sex Pistols, et vu la violence volcanique de l'original, on pouvait légitimement écouter ce Anarchy d'une oreille prudente.
Eh bien il ne s'agit ni plus ni moins que d'une grosse claque, alors même que l'exercice du remix des titres soit-disant cultes pré-eighties s'étend de manière épidémique avec des réussites (Nouvelle Vague, Killing Joke, DM...) et des bides (Anne Clark, Madonna, NDA etc...), Joujouka montre en quelque sorte une voie à suivre tant ce titre vieux de 1977 prend un sacré coup de carburant.
Sur un beat privilégiant les breaks assassins, machines électroniques kaléidoscopiques s'enchevêtrent avec un duo basse/guitare vigoureux où Minoru (à la guitare et au chant) confirme tout le potentiel de la scène pop-rock japonaise, forte d'une identité toute particulière.
L'un des tout meilleurs morceaux du groupe, plébiscité notamment par les Chicks on Speed, Swayzak, Chris Liebing ou encore Sven Väth.
--06-- Elektric sucker
Second morceau inédit, "Electrik sucker" continue sur le chemin tracé par "Let it Rip" et "AI305".
Tempo calé sur du 129bpm, ce n'est ni house, ni électro, ni trance, ni deep-techno, c'est sans doute un peu tout à la fois, où les synthés qui sonnent encore une fois hardware s'engouffrent dans une brêche aux frontières de l'indus, sur des coups de grosse caisse électronique.
C'est à partir de ce break à la 2e minute que Electrik sucker prend son envol, porté par les lyrics mansoniens soufflés par Minoru, en porte-à-faux avec les protestations vocodées de Tsuysoshi Suzuki.
Une fois encore ce qui frappe à travers ce titre, c'est cette énergie si forte que l'on ressent à travers ce savant dosage d'instruments à cordes et le génie du groupe pour les artifices sonores.
--07-- Pipes of peace
D'une certaine façon, Pipes of peace est un autre virage dans cet album, où cette fois ci, on retrouve un Joujouka qui nous pond du sur-mesure pour étourdir un dancefloor chauffé au fer-rouge.
On est donc ici assez proche d'un E-wire ou d'un "Fire", kick bien corpulent et appuyé, accentué par un lead-synth et des FX virils, parsemés de scratchs surprenants.
C'est là-dessus que Bryan Burton Lewis pose sa voix chuchotante tout en breakant sur des riffs de guitare acérés.
A tous ceux qui n'ont pas aimé Invade01 (version instrumentale exceptée) ce Pipes of peace saura sans doute vous rassurer puisque contrairement à Invade01, il est puissant mais certainement pas bourrin.
--08-- Hello Galatea
Jusqu'à maintenant, le collectif ne nous avait encore jamais sorti de morceau expérimental, c'est du moins ce qu'on est amené à penser dès les premières minutes de "Hello Galatea", qui débute de manière saugrenue, s'apparentant presque à quelque projet de musique bruitiste, mais qui rappelle ici furieusement les travaux les plus bancals de Mathew Herbert (Herbert/Herbert Big Band/Dr Rockit).
C'est seulement à partir de 2'30 que le morceau commence à se dessiner, et là les habitués du label Wall of Sound reconnaîtront certaines affinités avec Jacques Lu Cont (Les rythmes digitales) qui certes n'a jamais été l'inventeur d'un genre particulier, mais qui a été l'un des premiers (et rares) à reprendre de la musique eighties ce qu'il y avait de meilleur, pour le réinvestir dans une musique électro ultra-colorée et sacrément dansante.
"Hello Galatea" est donc une partition électro qui privilégie les mélodies un brin kitsch mais que tous les arrangements soigneux en arrière plan tempèrent pour lui attribuer un "je ne sais quoi" qui laisse penser qu'on se retrouve devant une partition complexe et résistante à l'épreuve du temps.
--09-- Let the wave flow (2003 version)
Cette nouvelle version de "Let the wave flow" paraît bien plus sombre et rugueuse que les deux précédentes.
On perd ici le lead-guitar groovy pour une instrumentation beaucoup plus électronique qui rend de fait ce titre bien plus en accord avec cet album.
Même si cette version est plus embrumée (la voix de la chanteuse Sundii est plus lointaine et caverneuse) il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un mastodonte qui embrase tout sur son passage tant son beat est écrasant et les synthés metalliques et tranchants, prenant de plus en plus d'envergure à mesure de la progression pour nous rendre enfin notre souffle sur les dernières secondes. Epatant.
--10-- Invade 02
Pendant smooth de Invade01, dopé à l'électro-tech et d'un zest de boucles trancey, Invade01 est un morceau qui se permet le luxe d'être "passe-partout" tant les possibilités de mix sont vastes.
Sur le fond, cadencé à 127bpm et toujours avec cette caisse brute et claire, Invade01 propulse l'auditeur dans un univers que l'on pourrait croire imaginé par P.K Dick ou encore inspiré du steam-punk tant les sons font penser à une grosse usine tournant à plein régime. Bassline et kick soutenus, convoyé par des incursions de vocoder balancées à coup de gros synths à la vigueur pénétrante, font de cette version de Invade, bien que plus lente, un modèle presque supérieur à l'original.
--11-- Box rocker
Tout comme pour le release nippon, "Are you elovetric" s'achève sur Box rocker qui eut lui aussi l'honneur d'une sortie vynile (sur lequel figure un remix de "New asians" par Justin Robertson à la hauteur de sa réputation).
"Box rocker" est une composition prog-house qui s'articule autour de percus live, de basse ronflante (merci Mitsumoto) et de guitare saturée, tout ça sur un ryhtme une nouvelle fois radicalement absorbant et des riffs de synths ravageurs.
----Last appeal----
Cet album est à mon sens un quasi sans faute, tant en terme de musicalité que de production pure, mais pour ceux qui espéraient encore un possible retour à la trance, "Are you elovetric" risque bien de leur marquer un coup dur.
Pour les autres, cet album "électro-punk" est un pur régal, riche et varié qui a définitivement l'étoffe des albums qui laissent sur le cul, assis à coté de la chaine, avec le doigt bloqué sur rewind. Genre, "yavait CE son là...merde ce SON! Faut que je le retrouve, faut que je le remette, j'en ai besoin......je suis addicted"
Le genre de disques qui laissent des frissons dans tout le corps et la tête, qui laissent un gout de "reviens-y" mon couillon, t'as pas tout entendu là...Y a des trucs que t'as raté au passage.
VITAL comme dirait Psychotrop
Shops :
http://saikosounds.com/english/display_release.asp?id=4293
http://www.psyshop.com/shop/CDs/mas/mas1cd002.html
Links :
http://www.feedbackrecordings.com/
http://www.godofarts.com/joujouka/